Le Messager

démocratie burkinabé : Eléments d’analyse d’un système perverti

 

Vu de l’extérieur, le système démocratique burkinabè apparait comme une référence dans une sous-région ouest africaine très mouvementée ces derniers temps. En effet, il apparaitra pour l’étranger, que depuis deux décennies déjà, et après des années de parenthèses militaires, que la démocratie semble résolument avoir pris cours dans le pays. Pour un observateur extérieur, les institutions républicaines sont en place et fonctionnent normalement, des élections se tiennent régulièrement, les libertés sont garanties et la paix sociale règne malgré quelques soubresauts (manifestations consécutives au drame de Sapouiy, mouvements d’humeurs des militaires en 2006 et mutineries de 2011).

 

 
démocratie burkinabé : Eléments d’analyse d’un système perverti

Mais à l’analyse, la démocratie en cours au Burkina Faso se révèle un système perverti, assurant sa reproduction grâce à des mécanismes aux antipodes des valeurs démocratiques standards. Nous avons identifié quelques éléments d’analyse critique de la démocratie dans notre pays et des pratiques politiques qui y ont cours, dans une perspective de contribution au débat démocratique.

Des institutions démocratiques de parade

Il est un principe fondamental de la démocratie depuis Montesquieu au 18 ème siècle que les trois pouvoirs doivent être séparés : l’exécutif, le législatif et le judiciaire ne doivent pas être détenus par la même personne ou la même entité de décision. Ce principe sous-entend que ceux qui sont chargés de faire appliquer les lois (l’exécutif) ne doivent pas être les mêmes qui prennent ces lois, que ceux qui votent les lois (le législatif) ne soient pas en même temps ceux qui sont chargés de les appliquer, et qu’enfin, le pouvoir judiciaire chargé de sanctionner les infractions à la loi et d’arbitrer soit non seulement différent des deux autres pouvoirs, mais qu’il soit indépendant d’eux.

Au Burkina Faso, l’exécutif hyperpuissant, composé de personnalités admises là, bien plus pour l’allégeance qu’elles font au président de la République que par la volonté d’un parti politique ou encore moins leurs compétences, est en réalité l’essentiel de l’appareil institutionnel, fortement centralisé sur la personne du président de la République. Beaucoup de membres du gouvernement se réfèrent plus au président ou à sa famille pour une décision importante qu’au premier ministre ou à leurs conseillers techniques. Dans ces conditions, les conseils des ministres sont beaucoup plus des messes hebdomadaires pour meubler et entériner des décisions déjà prises dans des centres étrangers à l’appareil officiel que des instances de haut niveau de décision.

L’Assemblée, fortement dominé par le parti au pouvoir, n’est en général qu’une caisse de résonnance de l’exécutif. Le rôle important de contrôle de l’exécutif, à peine compris par beaucoup d’élus analphabètes, n’est pas assumé. Mis à part quelques sursauts sporadiques à peine perceptibles (enquêtes parlementaires, questions orales) et dont les résultats ne font d’ailleurs l’objet d’aucune suite, le reste n’est qu’une mise en scène dans une Assemblée ou sommeillent beaucoup de parlementaires, ne se réveillant que pour lever le doigt au rythme du président du groupe parlementaire. Pour le rôle législatif proprement dit, l’Assemblée nationale se contente plutôt des projets de lois à elle envoyés par le gouvernement, à tel point que de grossières atteintes à la Constitution qui auraient pu être décelées par les députés, ne le sont finalement que par le Conseil constitutionnel (loi N°023-2012/AN du 18 mai 2012).

La plupart des élus savent qu’ils doivent leur place là, non pas tant à la volonté des électeurs, qu’à la grâce des dignitaires du régime qui ont bien voulu les retenir sur la liste électorale à un positionnement favorable. Ils n’ont donc pas, envers l’électeur, un devoir de productivité législative ou d’acuité dans le contrôle de l’action gouvernementale, la réélection étant conditionnée plus par la volonté du parti état, avec pour décideur en dernier ressort, le président de la République. Dans cette Assemblée, quelques élus de partis d’opposition essayent de faire seulement figure honorable, tant ils ont la conviction de leur impuissance face à la majorité écrasante, et aussi la conscience d’une faible probabilité de réélection du fait de la vigilance du parti au pouvoir qu’ils ne pourront plus tromper.

Alors, ils se démènent plus pour rembourser les dettes de la campagne qui les a élu et pour assurer l’après mandat au plan des besoins vitaux, que pour jouer effectivement le rôle que leur a confié l’électeur.

La justice constitue le pouvoir le plus dépravé dans le dispositif démocratique Burkinabé, au point où les acteurs eux-mêmes n’ont plus tellement la conviction d’être détenteur d’un pouvoir, tellement ils sont assujettis à l’exécutif et au pouvoir de l’argent. On a parlé à un moment donné de « juges acquis », pour désigner ceux des magistrats qui sont le plus maitrisables par l’exécutif. Cette allégeance à l’exécutif n’est certainement pas étrangère à l’esprit de l’article 134 de la Constitution : [Loi N°003-2000/AN du 11 avril 2000 - Art. 1er. Le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions sur les nominations et les affectations des magistrats du siège, de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes et sur celles des premiers présidents des Cours d’appel.]

Il donne son avis sur les propositions du ministre de la Justice, relatives aux nominations des autres magistrats du siège. Les magistrats du parquet sont nommés et affectés sur proposition du ministre de la Justice]. Or justement, le président du Faso est le président du Conseil supérieur de la magistrature et le ministre de la justice en est le premier vice-président. (Art. 132. Loi N°033-2012/AN du 11 juin 2012). Comparaison n’emporte pas raison, mais les dispositions constitutionnelles françaises (comme on aime bien citer la France !) en la matière sont contenues dans les articles 64 et 65 de la Constitution de la République française du 04 octobre 1958, ensemble ses modificatifs.

ARTICLE 64. Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.
Une loi organique porte statut des magistrats.
Les magistrats du siège sont inamovibles.
ARTICLE 65. Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l’égard des magistrats du siège et une formation compétente à l’égard des magistrats du parquet. Il faut noter que, dans cet attelage constitutionnel français, la formation compétente à l’égard du siège est présidée par le premier président de la Cour de Cassation et la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet par le procureur général près la Cour de cassation. Il est aussi important de mettre bien en évidence l’inamovibilité des juges du siège et la proposition de nomination des autres magistrats qui est faite en dehors de l’exécutif.

L’examen des deux types de rapports entre l’exécutif et le judiciaire nous indique bien que l’allégeance du juge Burkinabé à l’exécutif est l’attitude la plus rationnelle d’un être sensé.

On a aussi décrié la corruption des acteurs de la justice, donnant ainsi au justiciable l’impression d’une justice des nantis et des puissants, érodant la confiance en l’institution et suscitant parfois la volonté des populations de se rendre elles-mêmes justice (émeutes consécutives à la mort de l’élève Justin Zongo, libération des militaires incarcérés après la sortie tonitruante de leurs camarades). Contribuant chacune pour sa part, l’inféodation de la justice au pouvoir et la corruption ont enlevé au pouvoir judiciaire son rôle indispensable d’arbitre impartial dans une démocratie. En plus de cela, il faut aussi faire mention des insuffisances dans l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel, surtout en ce qui concerne la désignation de ses membres et de son président, insuffisances qui ont fait l’objet d’un réaménagement par la loi N°033-2012/AN du 11 juin 2012.

Une classe politique coupable ou complice

La classe politique Burkinabè est l’une des plus pléthoriques au monde. Environ 160 partis politiques ont été répertoriés par le ministère en charge des libertés politiques. 74 partis politiques ont pris part aux élections couplées du 02 décembre 2012. Cela a amené certains intellectuels à se demander combien de projets de société sont proposés aux Burkinabé par ces formations politiques. Mais en réalité, la faune politique Burkinabé peut être facilement rangée dans trois ou quatre catégories, abstraction faite de toute considération idéologique. D’ailleurs, parmi les 74 partis qui se sont lancés dans la course pour les élections de 2012, seulement une dizaine a pu engranger un élu, à tous niveaux confondus. Nous nous sommes aventurés à une typologie des partis politiques uniquement en fonction des pratiques observées.

Il y a des partis politiques coupables de la perversion ambiante de la démocratie Burkinabé. Ces partis politiques tirent intérêt du fait même de cette mascarade démocratique à travers la possibilité de longévité au pouvoir que leur confère le statu quo et des passe-droits qu’autorise l’absence de contrôle réel de la gestion de la chose publique. Vient naturellement en tête le parti au pouvoir pour qui l’approfondissement de la démocratie est synonyme de la mort de la poule aux œufs d’or.

D’ailleurs, cette volonté de pérenniser l’ordre établi qui justifie les assauts contre l’article 37 de la constitution qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux et qui représente, à leurs yeux, le plus gros risque d’alternance. La mise en place du CCRP et les assises nationales ne visaient que la modification de cet article. Les réformettes qui en sont issues n’ont visiblement pas satisfait les tenants du pouvoir qui appellent à continuer la réflexion pour trouver les voies pour atteindre cet objectif. Malgré les professions de foi et les discours pompeux sur l’enracinement de la démocratie, ce parti, rationnellement, ne peut ramer qu’à contre-courant des changements auxquels il ne se soumettra que contraint.

Proches du parti au pouvoir, partageant les avantages liés à l’exercice du pouvoir et donc ayant intérêt à l’immobilisme, sont les partis de la mouvance présidentielle et ceux soutenant l’action du président du Faso. Le comble de la forfaiture, c’est lorsqu’un parti politique, le premier des partis d’opposition, consacré chef de file l’opposition politique, en dehors d’une situation politique nécessitant un gouvernement d’union nationale, renonce à son statut pour soutenir l’action du chef de l’état. Cette situation, qui continue de faire école dans l’histoire politique de notre pays est la matérialisation de la perversion démocratique, puisque il est de coutume de dire en démocratie que la majorité gouverne et l’opposition s’oppose.

A-t’on idée, aux Etats Unis, du parti Républicain qui abandonnerait l’opposition pour entrer dans le cabinet du président démocrate ? Dans cette même catégorie de partis politiques responsables de la dérive démocratique au Burkina Faso, il faut ranger les partis politiques peu représentatifs, florissant en nombre, mais insignifiant en occupation de terrain et en propositions d’alternatives, qui comme beaucoup l’ont dit, ne peuvent pas remplir une cabine téléphonique de militants, mais qui sont prompts à retirer les chèques destinés au financement publique des activités politiques. Qu’ils se soient déclarés de l’opposition ou proches du pouvoir, ils sont coupables de fourvoyer la classe politique aux yeux de l’opinion et de favoriser le désintérêt des citoyens de la chose politique. Ils tirent intérêt de la démocratie imparfaite qui leur permet d’exister et d’entretenir ainsi leur fonds de commerce.

Le reste est constitué par des partis politiques complices ; ce sont des partis d’opposition, qui accompagnent le pouvoir à toutes les consultations électorales, tout en ayant conscience de l’impossibilité, en l’état actuel de notre démocratie verrouillée, d’obtenir par les urnes les changements souhaités par les populations ; ils sont complices du système par l’absence d’une véritable proposition d’une stratégie d’approfondissement de la démocratie (nous ne disons pas de conquête du pouvoir, car la conquête du pouvoir n’est pas forcement ce que les populations attendent).

Cette quête de l’approfondissement de la démocratie n’est pas compatible avec l’état d’émiettement des partis d’opposition. Il est facile de se rendre compte de l’unité faite, ou tout au moins du compromis facile à obtenir par ceux qui ont intérêt au statu quo, ceux là même qui ont de quoi être attrayant matériellement. Il est donc facile à prévoir qu’ils seront toujours plus nombreux autour d’un projet que leurs adversaires qui n’ont pas la composante matérielle trébuchante. Ceux qui ont donc le plus intérêt à se réunir, ne serait-ce d’abord que par les états major, sont les partis d’opposition, et cela ils le savent.

Des élections malpropres, pour un électorat médusé

Au Burkina Faso, les élections se succèdent et se ressemblent : ce sont les mêmes qui gagnent, ce sont les mêmes qui fraudent ou qui sont accusés de le faire. Et l’électorat médusé observe le spectacle, souvent sans plus d’intérêt qu’un match de football diffusé en différé et dont le résultat est connu. De ce point de vue, nous n’avons rien à ajouter à l’abondante littérature connue à ce sujet.

Nous soulignerons cependant quelques particularités importantes à notre avis, qui biaisent les consultations électorales dans notre pays. Dans une démocratie digne de ce nom, l’électeur vote un bilan ou un programme. A la limite, il choisit le charisme d’un candidat. Au Burkina Faso, en raison de l’analphabétisme conjugué à d’autres facteurs, le programme du candidat est rarement le facteur décisif qui emporte le choix de l’électeur. Le bilan des candidats ou des partis politiques, même souvent très contesté, n’infléchit pas cependant la décision de l’électorat.

Pour faire court, disons tout de suite que l’électeur Burkinabé majoritairement, vote malheureusement l’ethnie, le clan, la famille, le billet de banque, le sac de riz, de sel ou même le tee-shirt. Cette situation est sans doute favorisée par la pauvreté généralisée des populations surtout rurales, mais est surtout entretenue par la cupidité de certains acteurs politiques qui préfèrent acheter la conscience de l’électeur que de l’élever au rang de citoyen par l’éducation appropriée qui fait d’ailleurs partie des rôles assignés aux partis politiques par la constitution. Cette donne explique sans nul doute le fait que certains partis politiques gagnent facilement en campagne et se démènent difficilement en milieu urbain.

L’élection au Burkina Faso est aussi fortement biaisée par le rôle joué par la chefferie traditionnelle. C’est tout un chapitre. Et la constitutionnalisation de la chefferie, qui sans doute donnera une reconnaissance sociale plus importante des détenteurs du pouvoir traditionnel, est un couteau à double tranchant.

Des contre-pouvoirs mal-aimés ou aphones

Dans les pays à longue tradition démocratique que nous admirons, la presse est souvent un contre-pouvoir bien écouté, donnant l’alerte ou contribuant par ses critiques, à redresser l’action des pouvoirs publics. Au Burkina Faso, la presse n’est aimée que quand elle encense l’acteur politique. Quand elle se montre critique, au mieux, elle est vomie, parfois elle est subtilement ou brutalement réprimée. Mais globalement, c’est l’institution démocratique qui fonctionne le mieux au Burkina Faso.

La société civile Burkinabè est l’une des plus florissantes de la sous-région, en nombre d’ONG ou d’associations bien sûr, sinon elle est aphone du point de vue de la participation au débat démocratique et de la fabrication de l’opinion, exception faite de deux ou trois organisations qui animent un tant soit peu le débat démocratique, sans que l’on ressente véritablement leur impact sur le cours de la démocratie à l’image du « y’en a marre » sénégalais.

La résultante est une économie clanique corrompue et une vie sociale dépravée

L’économie Burkinabé est à l’image de sa démocratie : c’est une économie sous coupe réglée, dont les acteurs gravitent pratiquement tous autour du pouvoir et le sont par son fait. La fréquentation des membres de l’exécutif ou plus intimement, du dernier cercle concentrique du pouvoir (la famille), est le gage le plus sûr pour que les affaires prospèrent. C’est une économie fortement gangrénée par la corruption dont les tenants actuels du pouvoir font semblant de combattre.

Les disparités dans la répartition des richesses nationales constituent véritablement le talon d’Achille de la démocratie au Burkina Faso. C’est le domaine des superlatifs : les riches du Burkina Faso sont plus riches et moins nombreux que les riches des pays riches, tandis que les pauvres du pays sont plus nombreux et plus pauvres que les pauvres des pays pauvres.

Les services sociaux de bases sont inexistants : la santé est un luxe et l’éducation un leurre. C’est pourquoi les riches, c’est-à-dire, les tenants du pouvoir ou leurs proches se soignent à l’extérieur, quelque soit la maladie, même si elle est reconnue bénigne et leurs enfants sont scolarisés également à l’extérieur. L’éducation est une arme particulièrement efficace aux mains du système en place, pour assurer sa propre reproduction sociale.

Des craintes fondées de déflagration

A l’instar de tous les pays qui ont rusé longtemps avec la démocratie, la société Burkinabé n’est pas à l’abri de revendications démocratiques violentes comme celles observées en 1998 et en 2011 ou d’une déflagration totale comme celles observées dans les révolutions arabes. D’ailleurs, un diplomate d’un pays ami n’a-t-il pas prévenu que le pays réunit tous les ingrédients nécessaires à l’implosion ? En son temps, il avait été « patriotiquement » rudoyé, mais il est bon de reconnaitre que la démocratie a vraiment mal à sa gouvernance afin de se donner à l’indispensable sacrifice patriotique salvateur.

Une solution militaire inacceptable

Les inégalités sociales, la mal gouvernance, le verrouillage de la démocratie et les velléités de transmission dynastique du pouvoir, tous mis ensemble, amènent certaines personnes, désabusées, à penser et parfois à louer une intervention des militaires qui serait la solution pour le rétablissement du Burkina Faso sur les voies de la démocratie. Cette solution, est non seulement inacceptable pour tout démocrate, mais aussi, ramènerait le pays à des décennies en arrière sur le plan des acquis démocratiques. Et puis, comme le disait l’Homme d’état français Georges Clemenceau, « les dictatures militaires, sont comme le supplice du pal : elles commencent bien, mais elles finissent mal ».

L’indispensable sacrifice patriotique

En guise de conclusion, nous pouvons retenir que la démocratie Burkinabè est une oligarchie drapée d’oripeaux démocratiques. Or, comme le disait Montesquieu « il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ». Chaque Burkinabè doit accepter de faire un sacrifice ; sacrifier sa volonté de puissance, sa tentation de vengeance, et à l’extrême sa vie pour la patrie si cela est nécessaire pour bâtir notre société démocratique qui protège les plus faibles contre les plus forts et assure des chances égales à tous.

Dr M. Joseph SOMDA (msomdaj@yahoo.fr )



27/12/2012

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